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La tentation du renoncement

  • Photo du rédacteur: Tiphaine Périn
    Tiphaine Périn
  • 3 nov. 2022
  • 4 min de lecture

© image tirée du film "7 minuti" de Michele Placido



Lors d’un groupe de réflexion sur le travail, une jeune femme déclarait au sujet d’un évènement qu’elle avait organisé et qui ne s’était pas passé tout à fait comme elle l’avait souhaité : « Je dois accepter que ce ne soit pas parfait, c’est comme ça. ». L'émotion qu'elle déposait avec ces mots était assez confuse, mêlant une forme de soulagement à un fort sentiment de frustration. De mon côté, j'ai perçu dans cette phrase une sorte de résignation, de fermeture, de renoncement.


Cet échange m’a amenée à me poser les questions suivantes : renoncer revient-il à lâcher prise avec ce qui nous paraît vain quitte à sacrifier nos valeurs et nos principes ? Et renoncer à sa propre vision d'un travail de qualité revient-il à se renier soi-même ?


Défendre le travail « bien fait »

C’est au professeur de psychologie du travail Yves Clot que l’on doit l’expression de travail bien fait, qui est aujourd'hui reconnue comme centrale dans la compréhension du bien-être ou de la souffrance au travail. Selon lui, la santé au travail nécessite la capacité de se reconnaitre dans son activité. Je le cite : « lorsque les hommes ne peuvent plus se reconnaitre dans ce qu’ils font, il n’est pas rare qu’ils y perdent leur santé avant même d’en faire une maladie ». Donc bien qu'il soit essentiel d'être reconnu au travail, il est également essentiel de se reconnaître dans les résultats du travail accompli et dans ce qu’on fait de soi dans sa propre activité : est-ce que l’on se sent actif, fier de ses réalisations? Ou bien sent-on que l’on subit, que l’on bricole, que l’on effectue le minimum acceptable ? Pour Yves Clot, renoncer à travailler selon sa propre vision du travail bien fait est le début du renoncement à sa santé au travail.


Renoncer signifie abandonner, laisser tomber, abdiquer, soit se défaire de son rôle d’acteur de son environnement et de sa vie. On entre alors dans l’encaissement, dans la résignation. Alors soit on « tient » et on s’épuise, soit on lâche et on sacrifie une part de soi. Cette passivité imposée par un travail bâclé et insatisfaisant empoisonne la vie professionnelle du travailleur qui se trouve contraint de se défaire de ce qui compte vraiment pour lui.

Que faire dès lors ? La clé réside, à mon sens, dans l’acceptation. Car celle-ci, au contraire du renoncement, n’empêche pas l’action. Reconnaître l’imparfait ou l’erreur permet de se poser pour réfléchir à comment faire autrement. C’est redonner de l’élan à ce qui se fait ou se faisait déjà et qui ne marche pas ou plus. Dans le cadre du travail, cela passe par (ré)interroger la demande, les objectifs, les résultats, les moyens, les ressources, les contraintes et les règles.


En renonçant à sa conception du travail bien fait, cette jeune femme renonçait également à ses valeurs d’engagement et de qualité au profit d’un travail « bricolé » dans lequel elle ne se reconnaissait pas. Or, en faisant un léger pas de côté, en acceptant que le travail soit imparfait sans en tirer ni frustration ni sentiment de limite personnelle, mais plutôt l'opportunité de se confronter à un problème de métier, elle se placerait dès lors dans une perspective développementale de son professionnalisme et de sa santé.



Passer par le bien faire pour atteindre le bien-être


Une tentation fréquente des organisations est de requalifier les situations de travail difficiles en fragilité personnelle imputée à ceux qui supportent mal ces difficultés et qui deviennent alors, à tort ou à raison, "surinvestis", "obsessionnels, "perfectionnistes". Mais cette tendance à vouloir "réparer" les professionnels pour éviter tout conflit revient à nier que c'est en fait le travail qui est malade.


Donc pour exister, le sentiment de travail bien fait relève d’une double responsabilité : celle du salarié et celle de l'employeur. Car si le salarié ne doit pas renoncer et défendre encore et encore sa vision du travail, l’employeur lui, se doit d’offrir l’espace nécessaire pour que cette vision puisse être exprimée, et surtout entendue. Groupe de réflexion, analyse des pratiques professionnelles, appelons cela comme vous le voulez, l’idée étant toujours la même : organiser des espaces cadrés et protégés à des professionnels qui travaillent ensemble pour exprimer, débattre, proposer, discuter des critères du travail, réaffirmer les buts communs, comprendre les imprévus...


Enfin, pour être vraiment utile et profitable, ce travail sur le travail avec et par ceux qui le font, devra ensuite permettre l'ouverture d'un dialogue entre ceux qui font le travail, ceux qui le managent et l'organisent, et ceux qui dirigent. Ainsi, en enrichissant le dialogue social par le sujet de la qualité du travail, le risque psychosocial cesserait d'être un risque pour devenir une ressource.

Si certains peuvent y voir une perte de temps, c’est pourtant tout le contraire. Quel temps peut-il être plus utile que celui de penser le travail pour le développer ? De plus, un travail bien fait, n’est-ce pas dans l’intérêt de tous ? Du professionnel qui le fait, de l'organisation qui le vend et du consommateur qui en bénéficie? Il semble que si l’on se place de ce point de vue, le travail bien fait cesserait d’être une utopie pour devenir un enjeu de développement de la santé et du professionnalisme d’une part, mais également un enjeu de qualité des produits et des services mis sur le marché et donc, osons le dire, un enjeu de santé publique et environnementale.




 
 
 

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Consultations souffrance au travail

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Tiphaine Périn | Psychologue

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