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La conscientisation au service de l'action : Le risque de ne pas aligner la cohérence de nos actes

  • Photo du rédacteur: Tiphaine Périn
    Tiphaine Périn
  • 8 nov. 2022
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 nov. 2022


© ET de Steven Spielberg



J’ai rencontré lors d’une soirée un couple de restaurateurs de fast food à Paris. La conversation, agréable, a vite tourné autour de la crise énergétique et de la politique environnementale actuelle. La jeune femme, brillante et sensible à l’écologie, m'expliquait alors les efforts qu’elle avait engagés dans son restaurant en proposant notamment des burgers vegan, en luttant contre le gaspillage alimentaire ou encore en se fournissant en électricité verte. Et dans le même temps, elle me disait passer par toutes les plateformes de livraison à domicile car celles-ci représentent 50% de son chiffre d’affaire depuis la pandémie. Ce n’est que le lendemain matin, en en parlant avec mon compagnon que j’ai compris ce qui m’avait passionné dans son témoignage : la complexité, l’incohérence de nos engagements.


Si l’engagement écologique passe par nos fournisseurs d’énergie, nos modes de déplacement, nos placards et nos assiettes, ne doit-il pas également passer par notre manière de travailler ?


En énonçant publiquement notre politique de sobriété énergétique, nous faisons un devoir de promesse. Mais si confusément nous savons qu’il existe un angle mort dans nos pratiques, que notre vertu s’apparente au « green washing » de toute activité économique, qui souhaite d’abord assurer sa rentabilité en satisfaisant les caprices de nos clients, alors que se passe-t-il dans notre équilibre psychologique ?


L’uberisation des organisations


Le travail comme emploi subordonné et sécurisé, est lié avant tout à l’ère industrielle. S’il ne va pas disparaître, on assiste pourtant à l’émergence d’un autre contrat social et à l’apparition de nouvelles formes d’organisations du travail qui ne sont plus liées à l’emploi subordonné. Et effectivement, depuis l’explosion du numérique, nous assistons peu à peu à la disparition du modèle dominant de l’entreprise, au profit de l’apparition de plateformes internet qui mettent directement en relation des clients et des prestataires indépendants. Ce phénomène est appelé uberisation, en référence au géant américain Uber.


Dans le cas des livraisons de repas, le principe est simple : grâce à une application, ces plateformes (Uber Eat, Deliveroo, Frichti, FoodChéri etc.) mettent en relation des clients et des livreurs indépendants possédant leur propre vélo. Le client est géolocalisé par l’application, le prix de la course est fixé à l’avance par la plateforme et automatiquement prélevé. Une part de ce prix, fixée et imposée par les plateformes, est ensuite reversée au livreur. A l’issue de la prestation, le client et le chauffeur s’évaluent mutuellement.


Personne n’ignore plus le vécu de ce « petit travailleur infatigable » selon la formule des historiens du travail : son smartphone comme patron, son confrère comme concurrent, la lutte pour obtenir une course ou deux, les semaines à 60€, aucune protection sociale… Derrière la praticité de l’outil, voilà une idée des conditions de travail réelles de ces livreurs indépendants qui prennent des risques sur la route pour livrer des urbains pressés et peu scrupuleux, que nous sommes tous un jour.


Le client ne s’adresse donc plus à une entreprise, avec ses actifs, ses salariés, son histoire, ses succès et ses échecs, mais à une plateforme internet qui regroupe des indépendants possédant leur propre outil de travail. On passe ainsi d’une logique de salariat à une logique de travail indépendant, d’une logique de patrimoine à une logique de flux et d’une logique de droit du travail à une logique de droit commercial. Pas de managers à recruter, puisque c’est le client qui évalue le travail du livreur en cliquant sur un nombre d’étoiles qui conditionnera le prochain nombre de courses que pourra espérer effectuer le livreur.

C’est donc la conception même du travail inscrit dans un contrat (subordination contre protection) qui est remis en cause dans la promotion du travail indépendant. Alors si certains travailleurs indépendants assument haut et fort leur désir de liberté et y trouvent une forme de satisfaction et d’épanouissement (et votre serviteure en est un exemple), c’est une liberté qui a un certain coût économique et social. Car si on sort d’une logique de salariat et de droit du travail au profit de plateformes situées pour la plupart à l’étranger, comment l’Etat et les organismes de protection sociale pourront-ils se financer ? La protection sociale des travailleurs repose sur trois piliers : maladie, chômage, vieillesse. Ce système, pensé en particulier après la seconde guerre mondiale pour protéger des travailleurs poursuivant des carrières linéaires au sein d’entreprises, tend à fragiliser la continuité des droits dans un contexte où l’emploi devient discontinu et les carrières plus complexes.


Si les logiques productiviste et extractive qui sont au coeur du monde du travail moderne risquent d’alimenter la crise écologique, alors comment notre cerveau peut-il contrôler nos actions ? Si notre façon de travailler et de penser le travail est au carrefour des transitions écologiques et sociales, alors il faudrait aussi carrément transformer notre rapport au travail? Le rôle du psychologue du travail, qui ne peut pas mettre en péril notre activité économique et notre situation financière, est de bien comprendre nos équations et de les affronter avec nous le temps d’une mutation.


La prise de conscience comme levier vers une humanité durable


Il ne s’agit pas de tomber dans des considérations spécistes, mais je pense que l'on voudrait passer des engagements écologiques au nom d’une logique de cohérence éthique. Chercher à considérer les besoins propres de la nature dans sa globalité, et donc de l’homme également, à l’aune de valeurs morales.


Mais si le problème n’est que le résultat de tout un système de domination et d’exploitation, nous nous sentons en tant qu’individu, très impuissants.


Le mécanisme magique de la « prise de conscience »


Il s’agirait alors, en tant que travailleur, prescripteur ou consommateur de ces formes de travail, d’orienter la réflexion vers le sens de nos actions et d’accorder autant d’importance à la façon de penser qu’à l’objet pensé pour développer une forme de conscience.


La prise de conscience, en tant que confrontation et acceptation de la réalité, permet de penser le monde, de se penser soi-même et d’évaluer les conséquences de ses gestes. Elle peut également constituer (si la tétanie n’a pas pris le dessus) une première étape vers la praxis, la mise en action, chacun à son niveau, avec ce qu’il sait faire de mieux.


C’est pour cela qu’on retrouve ces restaurateurs et ces livreurs à vélo, dont 30% sont sans-papiers, en train d’oeuvrer ensemble pour que le travail facturé, donc non salarié, soit reconnu dans les demandes de titres de séjour. En ce sens, la prise de conscience incite à agir pour transformer une réalité sociale en mouvement de transformation sociale.


Elle devient alors un passage vers l’empowerment, la coopération et la solidarité.


 
 
 

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Consultations souffrance au travail

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Tiphaine Périn | Psychologue

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